La Société Linière, un avenir pour l'industrie textile bretonne (1821-1891)
Du couvent à l'usine
Joseph Goury et Etienne Radiguet sont les premiers à intervenir dans l'affaire, ils s'occupent de l'expédition des toiles rurales mais aussi du négoce de produits régionaux (cuir, suif, beurre). Ils s'allient avec trois confrères, René Poisson, François-Marie Heuzé et Guillaume Le Roux. Le point de départ de la nouvelle association est l'ancien couvent des Capucins de Landerneau où 120 métiers à tisser manuels sont installés pour la confection de tissus en lin et en coton. En 1827, les fabrications de linge de table sont abandonnées pour la confection de toiles destinées à l'habillement des marins, seul marché encore viable.
La Marine de la Restauration offre la perspective de nombreux marchés prometteurs qui orientent la spécialisation des fabricants landernéens. Très vite, les commandes affluent. L'agrandissement et la mécanisation des installations sont envisagés. Le choix du site de Traon-Elorn, réparti alors entre les communes de Landerneau, Plouédern et Pencran sur deux bras de l'Elorn et à proximité de la route de Brest à Paris, s'impose. Le terrain choisi couvre 23 hectares, un étang de 5 hectares est aménagé, avec une chute d'eau de 4,60 m destinée à alimenter la turbine hydraulique de l'usine, très vite couplée avec des machines à vapeur. 200 ouvriers travaillent pendant de longs mois sur cet énorme chantier, largement inédit dans la région, prélevant sur des terrains alentours les pierres nécessaires à l'élévation des bâtiments.
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Les ouvriers, bretons et écossais
Outre les Bretons, des ouvriers habiles au travail sur des métiers mécaniques sont recrutés dans les villes industrialisées d'Ecosse. 500 Ecossais environ émigrent à Landerneau sur la période d'activité de l'entreprise. Le noyau du premier atelier mécanisé de la Société Linière est constitué fin 1846, avec des apprentis bretons en formation. Les postes de directeur sont occupés exclusivement par des anglo-saxons, logés dans l'agréable appartement aménagé au-dessus du porche de la filature.
Pour conserver sa précieuse main-d'oeuvre britannique, les gérants de la Société Linière construisent en 1848 un authentique village ouvrier anglo-saxon sur le site de Traon Elorn. Constitué de longères pour les simples ouvriers et de cottages pour les ouvriers les plus qualifiés, ces logements offrent, pour un loyer très modique, un confort de grande qualité. Une école, animée par un pasteur protestant, est aménagée à l'entrée du lotissement ainsi qu'un cabaret, géré par des employés de l'entreprise, pour un enrichissement moins spirituel ! Face à la misère urbaine et rurale, la manufacture est très attractive pour les ouvriers bretons et ce sont parfois des familles entières qui se présentent à l'embauche.
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Des toiles de par le monde
La Société Linière achète du lin déjà apprêté aux cultivateurs bretons mais aussi dans le nord de la France et dans les pays de la Baltique. Les différents ateliers de la Société Linière ont été conçus pour optimiser la fabrication, en limitant les déplacements. Le lin est d'abord peigné, pour le débarrasser des derniers résidus, transformé en fil puis tissé sur les 1630 métiers de l'entreprise. Pour le blanchiment, la Société Linière possède quatre blanchisseries, les deux principales, équipées de machines à vapeur, se trouvant dans l'enceinte de la manufacture et au Leck à Landerneau.
La Société Linière produit des toiles de différentes qualités transformées en articles de ménage mais son principal client est la Marine de guerre, pour ses toiles à voiles et l'équipement des hommes. Principale utilisatrice des ports de Landerneau et de Morlaix et du chemin de fer de Brest à Paris, l'entreprise s'appuie sur un réseau de magasins de dépôts dans les principaux ports du pays mais aussi en Espagne, au Portugal et en Amérique du Sud. Un enchaînement de circonstances économiques malheureuses, combinées à la perte de son principal client, la Marine, qui passe à la vapeur, entraîne la chute de l'entreprise qui ferme ses portes en 1891. La misère ouvrière est alors très grande.
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Les conditions ouvrières
Dès sa création, la Société Linière du Finistère apporte de l'ouvrage à une population ouvrière profondément fragilisée par la crise du textile breton. Les ouvriers de l'établissement, adultes comme enfants, travaillent 12 heures par jour, 6 jours par semaine, de 6h du matin à 20h. Même lorsque les salaires sont rapportés par plusieurs membres de la famille, ils ne suffisent pas toujours à assurer le minimum vital et les carences alimentaires sont nombreuses parmi la population ouvrière. Les accidents du travail, souvent dissimulés par les autorités pour ne pas compromettre l'entreprise et ses dirigeants, sont fréquents. La presse et quelques relevés sanitaires rapportent des mutilations de mains aux machines, des brûlures aux chaudières et surtout de très fréquentes maladies respiratoires dues à l'émanation des fibres textiles ou des produits chimiques dans les blanchisseries.
Encouragées par le patronat, les premières sociétés mutuelles apparaissent et contribuent à couvrir les frais médicaux. La société Saint-Joseph, créée en 1851, est administrée par André "Andrew" Reilly, commis irlandais de la filature et gérant de la fabrique de Commana. Peu d'ouvriers bretons peuvent cependant se permettre la retenue de 2% sur salaire et ceux qui restent infirmes sont le plus souvent condamnés à la mendicité.
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